Vers les terres.

Je n’avais, il me semble, jamais expérimenté la sédentarité sans eau courante dans un quotidien « domestique ». En voyage, oui, mais c’est différent, cela fait partie du jeu du nomadisme. Chez Martin et Cécile, on n’est pas raccordés à l’eau, et on ne le sera pas : l’objectif est de récupérer au maximum l’eau de pluie grâce aux deux cuves d’une contenance de 5000 L chacune, enterrés dans le talus jouxtant la façade nord de la maison. Actuellement, l’eau n’est pas encore filtrée, et est donc utilisée uniquement sur le chantier pour préparer les barbotines de terre et autres mélanges terre-paille, et rincer les outils.
L’eau pour la vie domestique est obtenue de deux manières. Deux citernes remplies gracieusement par le voisin servent à tout ce qui est non alimentaire (vaisselle, hygiène corporelle). L’eau est potable car elle est puisée sur le réseau de la commune, mais le mode de stockage en grand volume au soleil implique qu’on ne la boit pas, probablement par sécurité. Pour l’eau potable, ce sont des bidons d’eau de 8L initialement remplis d’eau de source achetés en grande distribution, que Cécile et Martin remplissent régulièrement (1x/semaine environ, en fonction du nombre de personnes sur le chantier) à l’eau d’une source localisée à 20mn en voiture. Le linge quant à lui est lavé au lavomatique d’une grande surface, à 15mn en voiture.
L’eau devient donc une ressource limitée au quotidien. De plus, s’en servir demande plus d’efforts : pour la vaisselle, aller à la citerne et remplir les deux grandes caisses plastique qui servent respectivement au trempage et au rinçage : c’est lourd ! On y songe à deux fois avant de changer l’eau. Pour l’hygiène corporelle, on remplit des douches solaires (grande poche noire 12L environ avec un tuyau et petit robinet pour remplacer la paume) qu’on laisse au soleil toute la journée, ou on utilise des bassines (ici des faitouts de cuisine hors d’usage). L’eau ne coule plus en continu : initialement j’ai senti une gêne par le manque de confort, puis j’ai retrouvé un autre plaisir de l’eau, rendue plus précieuse par sa rareté. Retrouvant l’eau courante, une vraie douche et un lavabo une semaine plus tard, j’avais acquis des réflexes d’économie absolument pas imposés par une injonction de ma conscience, mais par le simple fait que j’avais physiquement intégré la valeur de l’eau grâce à cette expérience qui m’avait un peu bousculée initialement.
Je sens également la fragilité de ce réflexe, qui est intimement lié à l’environnement quotidien. De nouveau plongée dans un milieu domestique plus commun avec l’eau courante, il est certain que ce réflexe se perd. D’où l’intérêt pour moi d’intégrer cette rareté de l’eau dans le quotidien. Evidemment il ne s’agirait pas de chercher la privation, mais juste de comprendre et de vivre l’aspect limité, de le gérer pour être amenée naturellement à mieux respecter cette ressource et en prendre conscience de manière tangible.
On l’aura compris le rapport à l’eau est ce qui m’a le plus marqué physiquement dans ce chantier.
L’EAU, précieuse car limitée

Corn, 46 100
du samedi 10 au samedi 17 juin 2017
Cécile et Martin, jeune couple, la petite trentaine. Lui musicien, elle costumière. Originaires de région parisienne et d’ailleurs.
entre 2 et 4 (simultanément, pendant mon séjour)
non
oui, association habite ta terre, pour l’earthship et le participatif et Eric Handrich pour le matériau terre crue (terre-paille, enduits) société écodomus ( http://fr.twiza.org/member/28/ecodomus ), membre du RFCP, formateur propaille.
Où :
Quand :
Pour qui :
Nombre de bénévoles :
Pro présent :
Accompagnement pro :


Photo @Martin&Cécile

Vues du chantier.
Littéralement, « vaisseau de terre », les trois caractéristiques principales qui font la singularité de cet habitat sont selon moi les suivantes : le design bioclimatique avec la partie semi-enterréee au nord la serre au sud et la ventilation naturelle (non exhaustif), la recherche d’autonomie énergétique et alimentaire par la récupération des eaux de pluie et l’assainissement en phyto-épuration ainsi que la produtcion d’électricité photovoltaïque entre autres dispositifs, l’auto-construction économique avec la récupération de pneus de véhicules pour la construction du mur de soutainement et l’utilisation de matériaux disponibles sur place ou très localement pour le remplissage.
Pour Martin et Cécile, cette construction est en quelques sortes la partie émergée de l’iceberg d’une démarche globale. A l’instar de la communauté américaine à l’origine de cette conception, ils recherchent davantage d’autonomie non seulement pour vivre confortablement sans dépendre d’acteurs extérieurs mais également afin d’apporter leur pierre à l’édifice de la transition écologique. En effet vivre dans un earthship c’est aussi engager une utilisation plus sobre des ressources et énergies naturelles. C’est se rendre conscient, au quotidien, de l’importance et l’aspect précieux de l’énergie solaire, de l’eau, de la terre vivrière.
vaisseau de terre
07h00 Parfois, Qi Gong proposé par Martin
07h30 Rendez-vous (on prépare un thé à la menthe pendant que chacun émerge)
8h00 (environ) : debout en cercle, séance de « météo intérieure »
(= à tour de rôle, chacun dit comment il se sent et peut exprimer une intension pour la journée. S’il le souhaite. La règle = on considère que la parole est au centre du cercle, quand on souhaite prendre son tour, on dit « je prends », puis quand on a terminé « je laisse ». Pas un lieu de débat, on s’écoute simplement chacun son tour, on ne réagit pas à ce que disent les autres).
Puis point chantier : Cécile et/ou Martin expose l’état d’avancement du chantier aux nouveaux arrivants, puis l’ordre du jour pour tout le monde. S’il y a des tâches variées, chacun peut exprimer ses préférences, et un roulement entre les tâches est organisé si nécessaire…
8h00/8h30 10h chantier
10h-10h30 petit déjeuner
10h30 chantier
12h30 déjeuner (préparé par Cécile, parfois avec l’aide d’un(e) volontaire)
14h chantier
16h/17h fin de la journée de travail
A noter que les horaires varient l’été, pour éviter de travailler lors des plus grosses chaleurs. Le chantier débute plus tôt, vers 07h00 puis on s’arrête définitivement vers 13h, au moment du déjeuner.
un jour au chantier
Organiser un chantier participatif, ça ne coule pas de source. Pour se lancer dans cette aventure, Cécile et Martin, accompagnés par l’association Habite ta Terre, ont suivit avec eux 3 jours de formation au chantier participatif. En ressortent une organisation, probablement une manière d’aborder le collectif et l’accueil régulier de nouvelles personnes, et plus concrètement une note synthétique de présentation de la vie sur le chantier, adressée aux nouveaux arrivants. Les chapitres abordés sont, entre autres, l’organisation du chantier à proprement parler (heures et enchaînement des activités), le fonctionnement des lieux de vie (la gestion de l’eau, les toilettes sèches) avec la répartition des tâches communes (vaisselle, préparation des repas).
Dans les faits, la préparation des repas était réalisée systématiquement par nos hôtes lors de mon séjour. Martin et Cécile ne faisaient pas lire cette charte aux nouveaux arrivants, car ils considéraient que les choses se faisaient assez naturellement et visiblement par gêne d’imposer un cadre qui peu sembler rigide, ce qui ne correspond pas à leur attitude et manière d’aborder les choses.
Mon avis après expérience de chantiers/bénévolats plus ou moins cadrés, est qu’il est bénéfique d’instaurer des règles de fonctionnement et de les présenter clairement dès le départ. Cela permet au groupe de s’autonomiser, aux tâches de se répartir de manière plus fluide, mais également et c’est essentiel, cela rend probablement moins fatiguant le turn-over de personnes pour les occupants/habitants/travailleurs pérennes.
En l’occurrence, lorsqu’il s’agit d’un chantier qui a lieu chez-soi comme c’est le cas pour Martin et Cécile, ce cadre qui propose des règles de fonctionnement en groupe me semble nécessaire pour tenir la durée, et il pourrait être plus présent chez eux, car malgré leur générosité et leur détermination la fatigue les gagne, et c’est bien normal ! Le roulement humain et l’énergie demandée par les groupes n’est pas le seul facteur de fatigue évidemment, mais il peut être amoindrit. Les autres facteurs de fatigue sont le confort très spartiate et le chantier continu, ainsi que les nombreux échanges et autres soirées festives (fatigue physique), la longueur du chantier, qui prend toujours plus de temps qu’espéré, et l’ambition du projet en ce qui concerne la fatigue mentale (Est-ce que ça va fonctionner ? Toute cette énergie dépensée, est-ce bien raisonnable ?). Paradoxalement, certains éléments sont autant des sources de fatigue que d’énergie, comme la rencontre de nouvelles personnes à une certaine cadence et ce que cela induit : partage de moments en groupe hors du chantier, échanges enrichissants, fête, plaisir d’être ensemble. C’est un équilibre à trouver !
L'organisation du participatif
Les chalenges sont multiples : accueillir de nouvelles personnes chaque semaine voir à une cadence plus resserrée parfois, leur expliquer les règles de fonctionnement du lieu de vie, du chantier, tout en les invitant à se sentir à l’aise pour les quelques jours voire semaines où ils habiteront ici (pour les bénévoles qui ne sont pas des locaux). Il faut qu’une certaine cohésion de groupe se crée, pour que la motivation et l’implication des bénévoles sur le chantier puisse palier à l’efficacité moindre due à un temps d’adaptation et d’apprentissage nécessaire. Enfin, il faut veiller à instaurer un mode de communication bénéfique qui permette à chacun de s’exprimer, d’évoquer des gênes ou malaises s’il y en a, d’instaurer une réelle écoute dans le respect de chacun.
Une fois de plus je constate à quel point la bonne communication et l’écoute sont des piliers essentiels dans les actions où le collectif est central. Si c’est avéré pour des projets de micro-sociétés pérennes tels que l’éco-hameau de Verfeil, cela se vérifie également dans les contextes tels que le chantier participatif où l’on doit former une petite communauté éphémère et constructive en très peu de temps.
Et là, l’outil suprême, révélation aussi grande pour moi que j’y étais à la base légèrement sceptique : la CNV (auréole divine).
Comme tout outil, il est bien sûr limité et imparfait, mais tout de même, c’est un sacré coup de pouce. Rien que l’appellation « communication non-violente » fait sens. Ne serait-ce que se rendre conscient(e) que les modes de communication habituels peuvent être agressifs sans le vouloir, c’est s’engager dans un meilleur respect de l’autre et donc une attitude qui participe à créer un espace d’échange bien plus fertile et constructif.
l'accueil et l'intégration




Des récipients pour chaque usage
Observations personnelles sur l’organisation de la journée :
+ le petit déjeuner à 10h, idéal. Permet de bien commencer la journée sans avoir le ventre lourd, de laisser le corps se réveiller, de faire une vraie pause dans la matinée (convivial et agréable), et d’être efficace jusqu’à l’heure du déjeuner. Libre à chacun de prendre une première collation au réveil.
- pause du midi un peu longue à mon goût, avec la chaleur (semaine de canicule), l’application des horaires d’été aurait été idéale je pense.
? il aurait été possible de faire une pause collation vers 16h, pour retourner travailler une heure supplémentaire par la suite.

Mélange terre-pail dans les brouettes

La terre provient d'un chantier proche.



Photos issus du blog de Martin et Cécile
En savoir plus
Ressources documentaires
Le manuel d’architecture naturelle, David Wright, édition Parenthèse, 2004 (première parution en 1978, en anglais).
http://solutionera.com/, et la chaîne youtube associée
Earthship.com
Garbage warrior ,documentaire sur Mike Reynolds par Oliver Hodge, http://www.garbagewarrior.com/